Le fabuleux voyage d’Angèle…

Réflexions et TémoignagesAnnée 2001
Le fabuleux voyage d’Angèle…

Quelque part en Provence…

Angèle consulte un homéopathe. Cet homme paraissait qualifié mais au fur et à mesure de ses rendez-vous, il lui apparaît manipulateur.

Puis en ce matin du mois d’août 84, il lui dépose sur la langue trois gouttes d’une mystérieuse préparation. La suite la voici :

« Ces trois gouttes, poursuivit Angèle, on aurait dit de l’eau ! Puis je me suis immédiatement senti partir… J’étais bien, mais j’éprouvais un curieux sentiment. C’était bizarre. Il me parlait sans cesse. Je ne me souviens de rien de précis, à part quelques bribes où il me faisait des propositions de nature sexuelle. Pour cela nous devions nous revoir demain. Et j’étais d’accord ! Chose surprenante car je n’ai jamais ressenti une réelle attirance physique pour cet homme. Ce qui m’attirait chez lui était plutôt d’un autre domaine. Difficile à définir. Peut-être quelque chose d’intellectuel, mêlé d’espoir. Je ne sais pas…

Cet état euphorique n’a pas duré. Très vite j’ai été prise d’un profond malaise. En quittant son cabinet je luttais contre une espèce de révolte intérieure. Une révolte contre moi-même, pauvre pantin, démunie de toute volonté propre. J’ai eu un mal fou à conduire : je pleurais, je tremblais, ma vue se troublait, mes oreilles bourdonnaient, mes idées étaient confuses. Je me sentais à la limite de l’évanouissement. Et lui, dans ma tête, ne cessait de me répéter que dans la vie il fallait se donner du plaisir, qu’il me guérirait de mes idées noires. Comme d’habitude je le voyais très bien, il était tout à fait présent. Je savais que, une fois rendue à la maison, il me faudrait diluer le liquide du flacon qu’il m’avait remis dans un peu d’eau minérale, jusqu’à hauteur du col, et en prendre cinq gouttes trois fois par jour. C’était la seule chose qui était vraiment claire pour moi à ce moment-là.

Arrivée chez moi j’ai rajouté l’eau minérale dans le flacon qu’il m’avait donné et j’en ai immédiatement pris cinq gouttes. J’étais toujours dans un état de panique indescriptible, ne connaissant qu’un bref répit au cours duquel j’avais cru pouvoir surmonter mon désarroi en pensant à Clément, qui rentrerait tard ce soir. Je l’imaginais à son bureau… J’aurais tant voulu qu’il soit là. Penser à lui me faisait comprendre que quelque chose au fond de moi essayait encore de lutter. Mais lui parler, je crois, aurait été au-dessus de mes forces. Je serais restée muette. J’aurais fait comme à chaque fois, comme si de rien n’était. Car ce maudit Mister Hyde m’avait interdit de parler de quoi que ce soit à quiconque.

Depuis ma rencontre avec ce démon j’avais tout de même essayé de lutter. Je m’en souviens. J’avais lutté contre ce sentiment atroce de ne plus vivre normalement dans ma tête. En fait, à la réflexion, je m’étais tout simplement livré chaque jour à des exercices d’adaptation épuisants : chez moi, au travail et partout où je n’étais pas seule. Ces dernières semaines je n’avais donc survécu qu’en donnant le change. Il y avait certes eu quelques brefs moments de semi-lucidité au cours desquels le masque tombait : « Sois sincère et regarde toi ! C’est pire qu’avant ! Bien pire qu’avant ! » me répétais-je alors.

Tout à l’heure, par exemple, je le disais, j’avais pu mettre à distance pendant un instant cette image qui squattait mon esprit. Un déclic s’était produit et j’avais presque réussi à renouer le lien avec moi-même. J’avais pu voir et mesurer ma souffrance, une fois encore, et peut-être d’une façon plus lucide que je n’y étais jamais parvenu depuis le début de ce calvaire. D’ailleurs, au prix d’un effort surhumain, après une lutte éreintante contre cette force surhumaine qui me réduisait à l’esclavage, j’avais su lui résister. Son visage s’était progressivement estompé. J’avais même pris une décision, irrévocable : je ne me rendrais pas en consultation demain. Plutôt mourir que d’être le jouet de ce monstre !

Hélas, une fois de plus, cette lutte contre moi-même, en moi-même, était demeurée vaine. Je constatais peu après, avec effroi, que le visage était revenu. Son visage était toujours là ! Avec ce même sourire indéfinissable. L’oeil était dans la tombe et regardait… Angèle. Le sentiment de la victoire avait été éphémère.

Son visage ne me quittait plus. Il restait là, juste à côté de moi. Je n’avais pas eu le temps de faire mon ménage avant de me rendre à son cabinet. Et là je faisais n’importe quoi pour tenter d’échapper à son omniprésence. J’ai dû passer au moins trois fois le chiffon sur la commode de la chambre de ma fille en déplaçant à chaque fois tous ses bibelots.

Heureusement que les enfants étaient au centre aéré pour la journée. J’étais véritablement détruite. Je me sentais tellement impuissante. Cette fois j’avais la certitude d’avoir touché le fond, d’être devenue folle. Depuis que j’avais fait la connaissance de ce personnage malsain je me sentais étrangère à moi-même et à ma famille, coupée de mon rôle de mère et d’épouse. Je pourrais même dire que, de ce jour, ma personnalité s’était progressivement dissoute jusqu’à disparaître complètement. Je survivais par procuration, dans un univers parallèle, terrifiant, dont il occupait tout l’espace.

C’est dans ce triste état que j’ai gagné ma chambre. Je me suis allongée sur le lit, les yeux mi-clos, le regard obscurci, perdu dans les brumes laiteuses du plafond. Sur mon visage les larmes roulaient doucement et laissaient place en s’évaporant à des chatouillis désagréables. Je n’y prêtais même pas attention. Je ne luttais plus. Pour tout dire, j’avais l’impression que la fin était arrivée. D’ailleurs je commençais à suffoquer. Mon coeur battait la chamade. Il s’était emparé de tout mon crâne. Ses pulsations martelaient mes tempes avec violence. Elles palpitaient douloureusement quand une étrange torpeur s’était emparée de moi : « Les gouttes ! J’en ai pris à l’instant. »

Puis, comme par enchantement, le visage démoniaque s’était brusquement évanoui. L’instant précédent mon cerveau était la proie d’un tourbillon de pensées dont il était le pourvoyeur exclusif, et là, soudain : chraaak ! la douleur s’efface, un voile se déchire, la grisaille s’éclipse et laisse apparaître un tableau différent… Opposé, devrais-je dire : une quiétude inattendue, totale, exceptionnelle. Une sensation de bien-être jamais ressentie. Mes repères habituels s’étaient évanouis et j’existais dans une espèce de néant confortable. Je ne dormais pas et je ne savais même pas si mes yeux s’étaient fermés.

Il se produisit ensuite une autre cassure. Quelque chose de plus extraordinaire encore et je fus brutalement aspirée hors de mon corps. Tu m’entends bien ! Moi… Enfin, la partie de moi qui pense, qui est capable de voir, d’analyser et de comprendre, s’est tout à coup trouvée en dehors de la partie corporelle restée sur le lit. C’est incroyable ! Vraiment incroyable ! En fait ce ne fut peut-être pas aussi brutal. Il y eut un bref instant de transition, me semble-t-il, où je me suis sentie partir vers le haut ; légère, légère, de plus en plus légère… Cette ascension s’est poursuivie jusqu’au plafond et je me suis retrouvée à côté du lustre, en train de contempler mon corps. Car je me voyais très nettement, là en-dessous, allongée sur mon lit et les yeux clos ; je les avais donc fermés.

Ce qui m’a le plus marquée alors, c’est une impression de détachement. C’est le moins qu’on puisse dire. Tu ne crois pas ? Mais je veux parler d’un détachement affectif par rapport à cette carcasse de chair inerte et dérisoire. J’expérimentais ainsi, en toute insouciance pourrait-on dire, un phénomène dont j’étais à mille lieux d’imaginer l’existence. Et, peu à peu, je prenais conscience de mon nouveau statut : j’étais devenu esprit ! C’était indéniable. Après un moment de flottement – c’est aussi le mot qui convient – sûrement nécessaire à mon adaptation à cette nouvelle condition, la question de ma propre mort était venue m’arracher à la douce quiétude qui m’envahissait. Suis-je morte ? me demandais-je, incrédule.

Tout le laissait paraître. Il fallait me rendre à l’évidence. Et, tiens toi bien, j’acceptais sans émotion particulière l’idée de mon décès. J’en faisais le simple constat. Comme si cela ne me concernait pas directement ou n’avait pas grande importance. Ma propre mort semblait un événement parfaitement banal. En moi, aucune réaction émotionnelle ne lui faisait écho sauf, à la rigueur, une certaine compassion pour la forme humaine que j’abandonnais. Mais pas de quoi en faire un drame !

C’est alors que j’ai été catapultée dans le cosmos. « Cosmos » est le mot qui convient parfaitement pour désigner l’environnement de ce fantastique voyage : une obscurité totale, silencieuse, constellée d’une myriade d’étoiles. Je filais à une vitesse vertigineuse, attirée par l’un de ces points lumineux. La brillance de celui-ci ne cessait de croître et la pénombre s’effaçait à mesure que ma fulgurante progression me rapprochait du générateur de ce fantastique rayonnement. Je me suis dit : « C’est sûrement ça la vitesse de la lumière ! » Et au même instant tout est devenu lumière. J’étais moi-même imprégnée d’une formidable clarté dorée. Si mon émotivité avait été peu sollicitée dans un premier temps, je n’avais rien perdu à attendre. J’allais l’avoir mon compte d’émotions !

Plus j’approchais de la source lumineuse plus je ressentais une vie, une présence, dans cette brillance mille fois plus puissante que le soleil. Je n’en étais nullement aveuglée pour autant. Intraduisible, inexprimable… Il n’existe aucun mot pour décrire cette lumière et dire le bouleversement qu’elle suscite. Mon intuition ne m’avait pas trompée, cette féerie céleste était habitée : deux personnes se sont approchées de moi, nimbées de cette splendide lumière, sans que cette étrange apparition n’éveille de ma part le moindre étonnement. Et pourtant ! Me voici en présence de mon grand-père, disparu depuis huit ans, et de Martine que tu as toi-même connue (une amie tragiquement décédée il y a peu d’années). Tu te souviens d’elle ? Ils paraissaient heureux de me voir, souriants et accueillants, identiques à l’image que j’avais conservée d’eux ; peut-être plus jeunes. Je savais parfaitement qu’ils étaient morts et cette pensée emporta définitivement ma conviction de l’être également.

Nous avons échangé quelques propos, mais sans que notre dialogue utilise le langage habituel. L’information circulait directement, sans utiliser le canal des sens, de cerveau à cerveau. À propos, avais-je encore un cerveau ? Je veux dire un cerveau en état de marche. Si ce n’était plus le cas, comment pouvais-je utiliser aussi facilement ces facultés télépathiques ? Comment puis-je m’en souvenir aujourd’hui encore ? En tous cas, l’intégralité de nos pensées se révélait instantanément, aux uns et aux autres, claires, parfaitement intelligibles. Je ne me rappelle pas de toute notre conversation et les bribes dont subsiste la trace paraîtraient futiles à d’autres que moi. En revanche, leur désir de me garder auprès d’eux et la perspective d’une existence post mortem radieuse, qu’ils se proposaient de me faire découvrir, demeurent bien ancrés dans ma mémoire.

Mon voyage se poursuivit. Mes guides étaient toujours à mes côtés, bien que je ne les voyais plus, lorsque je pénétrai, me fondis serait plus juste, dans un embrasement céleste tout aussi indescriptible. Ne souris pas de mon lyrisme, mais c’était tellement fort !

Là, j’ai eu la très nette impression de me retrouver dans un lieu familier, un endroit que j’avais bien connu. Comme si j’étais partie depuis peu de temps et que je revenais chez moi. Depuis peu de temps… Mais qu’est ce que ça voulait dire : « peu de temps » ? La notion de durée à laquelle on se réfère habituellement était absente de cette histoire-là. Tout ce que je peux dire, même si je suis incapable de l’expliquer, c’est que j’existais dans ce qu’on pourrait appeler une sorte d’intemporalité absolue. Car l’ensemble de ce périple hors de mon corps s’est également déroulé hors du temps. Plus de corps : plus de temps ! De sorte que je me demande si notre perception d’un écoulement temporel ne serait pas une vaste mise en scène. Mais à ce moment-là je ne me suis pas vraiment posé ce genre de question.

J’ai très vite perçu une autre présence. « La Présence », devrais-je dire. C’est d’elle qu’émanait cette extraordinaire lumière. Une lumière qui me connaissait aussi bien, sinon mieux, que je pouvais me connaître moi-même. Aussitôt, provenant de la lumière, un sentiment d’amour incommensurable me submergea. Un raz de marée d’amour tout aussi inexprimable que le reste. De toute façon « amour » est un concept humain trop restrictif pour dire la communion avec ce soleil de bonté et de tendresse. Notre vocabulaire est inapte à rendre compte de telles sensations.

La moindre parcelle de mon existence était connue de la lumière, je le sentais, mais je ne me doutais pas que cela s’achèverait par une sorte de rétrospective critique de ma vie. En effet, sans que je sache de quelle manière, des pans entiers de mon passé se sont mis à défiler devant moi : des événements les plus proches aux souvenirs les plus éloignés de mon enfance. Le plus inouï c’est que j’ai même assisté à ma naissance ! Des scènes plus ou moins prépondérantes, d’autres plus anodines ont resurgi devant moi. Spectatrice de ma propre histoire j’ai pu en mesurer les mérites et les faiblesses.

Cette rétrospective était accompagnée de remarques venues de la lumière. Remarques généralement bienveillantes mais aussi, quelquefois, teintées d’un humour quasi sarcastique. J’ajouterai tout de même que si je me suis sentie évaluée, je ne peux pas parler d’un véritable jugement. Il s’agissait plutôt d’une auto-évaluation commentée par la lumière, d’un examen de conscience sans la moindre possibilité de tricher. J’ai revu des scènes au cours desquelles je ne me montrais guère à mon avantage. Et c’est peu dire ! Les moins flatteuses pour moi suscitaient de sa part une réaction de moquerie amusée. Je ne dirais pas qu’elle allait jusqu’à rire mais je sentais bien que l’imbécillité de certains de mes comportements l’amusait. Elle souhaitait manifestement dédramatiser ces situations en me faisant comprendre que seule l’ignorance était responsable de tels actes. Elle soulignait à l’occasion les conséquences de ce que j’avais cru être de petites causes, me montrant la disproportion de leurs effets. Dans l’ensemble il y avait de ma part du bon comme du mauvais, mais sans me flatter le positif l’emportait malgré tout.

J’ai vu des images de loisirs récents avec mes enfants, des épisodes de ma vie professionnelle ou familiale. Plus avant dans le temps, c’était la collégienne rêvassant à la fenêtre de sa chambre. Et plus avant encore, vers l’âge de cinq ou six ans, la petite fille qui jouait dans le jardin jouxtant le pavillon. Jusqu’à une scène où j’étais assise sur une chaise haute, en bois verni, dont le souvenir est désormais bien net. Puis, je te le disais, j’ai assisté à ma naissance. En fait, j’y participais. Mais de manière lucide cette fois-ci. C’est vraiment incroyable !

Tu ne peux pas imaginer comme tout cela m’a bouleversé. Car en visionnant ces extraits du film de ma vie je ne devinais pas mes émotions d’alors, je les vivais réellement. Je les revivais ! Ce qu’il y a de plus étonnant, et de plus pénible aussi, c’est qu’il en allait de même pour les émotions manifestées par les autres intervenants présents à ces moments particuliers de mon existence. Je veux dire que je ressentais tour à tour les sentiments d’autrui que mes comportements avaient suscités. J’ai même eu la surprise de constater que, dans des circonstances précises, les réactions intimes de certains des protagonistes ne correspondaient pas du tout à celles que je leur avais prêtées sur le moment.

Totalement sereine, et dans un état de béatitude inimaginable, je continuais à flotter dans un univers de clarté époustouflante où la notion de temps, il semblait figé, échappe à toute compréhension. Au diapason de cette inexplicable intemporalité les tranches de mon existence étaient perçues instantanément, hors de toute impression de durée. C’est assez difficile d’en rendre compte avec des « mots terrestres ». Ma vie passée ne se présentait pas seulement devant moi en images se succédant dans une chronologie à rebours, comme pourraient le laisser entendre mes précédents propos. Les événements se déroulaient en quelque sorte selon le scénario original mais leur succession remontait le cours de ma vie.

Parfois aussi, là c’est encore plus délicat à expliquer, j’avais l’impression que mon existence entière était étalée sous mes yeux ; indifférenciée dans ses étapes et toujours sans que l’enchaînement des événements paraisse se nourrir de temps. Je sais que c’est complètement fou, totalement incompréhensible, mais cela s’est passé ainsi. Il me semble toutefois que les scènes se succédaient, comme je l’indiquais, de façon que soit mis en évidence un lien de cause à effet. Afin, peut-être, que les conséquences de mes comportements me soient plus claires.

D’ailleurs, pour moi, tout était limpide à ce moment-là. Je comprenais tout avec une incroyable rapidité. Qu’il s’agisse de ma vie ou de la Vie d’une manière plus large. C’est comme si j’avais pu consulter les archives d’une espèce de savoir universel. Pour utiliser un cliché je dirais que je possédais alors la connaissance de la vérité ultime ; c’est du moins le sentiment que j’ai éprouvé. Cela peut sembler prétentieux mais il n’y a pas de quoi en tirer orgueil puisque le souvenir de cet enseignement demeure si flou que je suis bien incapable de t’en dire plus.

Ensuite, la lumière de laquelle émanait toutes ces connaissances me demanda si je désirais la suivre. Ce n’était pas un ordre, elle me laissait le choix. Dans l’espace d’un éclair l’image de mes deux enfants a fait resurgir une réalité depuis longtemps oubliée. J’ai immédiatement compris dans leurs regards que mon absence leur serait une injustice inacceptable. Et, en définitive, la responsabilité de cette injustice m’incombait !

La brève pensée que je venais d’avoir pour mes enfants a aussitôt mis un terme à cet épisode d’incomparable félicité. Je n’avais même pas eu le temps de protester de mes devoirs envers eux que la réponse s’était imprimée en moi : « La puissance de ton amour pour tes enfants témoigne d’une volonté à laquelle je ne désire pas m’opposer. » Ou quelque chose d’approchant et de très solennel. La lumière me faisait comprendre qu’elle ne voulait pas rompre un lien aussi fort que celui qui me retenait auprès d’eux. Ces considérations se gravaient en moi par l’effet de ce phénomène télépathique qui avait servi de support à tous les dialogues précédents. Elle acceptait mon choix, qui n’était pas vraiment réfléchi, estimant que mon accession dans ce « paradis » était prématurée puisque ma tâche ici bas n’était pas achevée. J’ai réintégré dans l’instant le corps abandonné sur le lit. Je regrettais déjà ma décision, mais il était trop tard.

J’ignore la durée de mon absence. Quelques minutes ? Qui ont paru des siècles. Mais je garderai toujours en mémoire la profonde amertume de ce retour à la nature humaine et à ses vicissitudes. La lourdeur du corps alliée à ce que j’éprouvais alors comme un engourdissement des fonctions cérébrales, en comparaison des fabuleux pouvoirs dont je venais de faire l’expérience et des connaissances illimitées auxquelles j’avais accédé, m’imposaient une pénible renaissance. Le fragile microbe humain supportait mal la transition. La brutale déception de mon renvoi n’a pas facilité la réadaptation. J’ai alors pleuré comme je ne l’avais jamais fait. Joie et dépit mêlés. Progressivement, j’ai repris contact avec la vie, avec ma vie. La représentation était terminée. Et quelle représentation !

Cela dit, il ne s’agit pas d’une représentation mentale en rapport avec un rêve ou une hallucination. Je ne peux douter un seul instant de la réalité de ce que je viens de vivre. D’ailleurs, après avoir récupéré mon corps j’ai ressenti physiquement, pendant un court moment, cette félicité éprouvée tout au long de mon périple ; et je sais qu’à cet instant précis j’étais bien éveillée. Puis elle s’est rapidement estompée pour laisser place à l’amertume et aux regrets.

L’ensemble du phénomène demeure imprégné de ce même sentiment de réalité. Car lorsque je me réveille avec le souvenir d’un rêve, plus ou moins net en général, je reconnais pleinement celui-ci comme une construction imaginaire. Là, rien d’onirique. J’ai la certitude de m’être vue, morte, allongée sur mon lit, d’avoir rencontré ces deux personnes qui m’avaient été si familières de leur vivant et d’avoir voyagé jusqu’à cette lumière qui est la véritable « Source de la Vie ». Sans omettre qu’il m’a été donné de consulter les archives de ma propre existence, alors que je n’avais même plus conscience de tous ces souvenirs.

Je me suis demandée qui serait capable d’entendre une telle histoire. À qui pouvais-je raconter ce fantastique voyage sans passer pour une illuminée ou pour une folle ? Je n’ai pas voulu téléphoner à Clément car, outre cet incroyable récit, je lui aurais porté le coup de grâce en lui dévoilant le véritable rôle de cet homéopathe ; j’en suis d’ailleurs miraculeusement guérie. J’ai tout de suite pensé à toi. Le temps de récupérer un peu et je t’ai appelé. Qu’en penses-tu ? De quoi s’agit-il ? Peux-tu croire que l’âme soit capable de quitter le corps et d’y revenir ? Que nous puissions ainsi survivre à la mort ? »

[Angèle. – le 06-10-01]

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